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Quelques questions à TODD ROBINSON #2 : Les Morts de Riverford

Voilà quelques années que nous attendions une bonne raison pour nous entretenir une nouvelle fois avec notre barman préféré et la sortie, début mars 2022, de son troisième roman Les Morts de Riverford, publié par Gallmeister, en est assurément une ! Ce polar, différent de ces prédécesseurs, plus social et profond confirme l’étendue de son talent et est une vraie réussite. Nous voulions parler avec lui de ses personnages, des difficultés que rencontrent la plupart des auteurs aux États-Unis et de ce par quoi il a fallu passer ces derniers temps… Alors, entre deux services, il a pris le temps de nous répondre et nous lui en sommes extrêmement reconnaissant.

From Richmond To Tacoma : Salut Todd ! Merci beaucoup de nous accorder un peu de ton temps. Cinq ans ont passé depuis la sortie d’Une Affaire d’Hommes, cinq années pas toujours simples avec des moments difficiles, Trump et les siens, la crise du covid… Alors, avant tout, comment vas-tu en ce moment ? Et comment va le Shade (nom du bar dans lequel Todd travaille, ndlr) et son équipe ?
Todd Robinson : On survit, comme toujours. Ouais, ça a été une demi-décennie difficile ici, mais le simple fait que nous soyons toujours debout, c’est déjà quelque chose, non ? Quant au Shade, ça continue aussi. Tous les membres du personnel ont été touchés par le Covid en une semaine… Sauf moi. J’ai donc fini par travailler sept quarts d’affilée afin de garder les portes ouvertes. Chaque jour était important.
J’ai été cas contact tellement de fois, y compris avec mon enfant, et je ne l’ai jamais attrapé. Et mon fils a douze ans. Je suis le papa. La plupart du temps, ce qu’on fait, c’est chahuter, faire du catch et se péter dessus l’un l’autre. À ce stade, je ne pense pas seulement être immunisé, je pense que je suis putain d’immortel.

FRTT : Les Morts de Riverford vient tout juste de paraître, tu nous le présentes un petit peu ? Comment l’as-tu écrit ?
Todd : C’est un collage d’une communauté qui n’est pas sans rappeler celle dans laquelle j’ai grandi. Le roman est né de différentes façons. J’avais publié quelques nouvelles qui se déroulaient dans cette ville fictive, toutes avec des tonalités différentes. En France, on m’a toujours interrogé sur mes nouvelles, mais il n’y a jamais eu d’intérêt pour en faire un recueil. Alors, je me suis dit que si je développais les histoires et les reliais entre elles, j’aurais un roman. Et voilà, Les Morts de Riverford !
Cela dit, je voulais me dégourdir un peu les jambes. Je ne sais pas si vous avez la même chose en France, mais nous avons ici ce qu’on appelle la glace Napoléon dans laquelle il y a un peu de chocolat, un peu de fraise et un peu de vanille. Je voulais faire ça avec un roman policier. Chaque histoire a un parfum bien particulier en matière de polar. Je n’étais pas sûr de pouvoir combiner toutes ces saveurs, mais c’était amusant d’essayer…
Non, en fait, je mens. Ça a été un putain de cauchemar, mais j’étais déterminé à tout faire pour que ça fonctionne.

FRTT : C’est un roman plus social sur un rythme plus lent, moins pulp que tes précédents, plus sensible également. Tes personnages portent d’avantage leurs blessures, leurs fêlures. Que voulais-tu expérimenter ici ? Ce roman semble avoir une charge émotionnelle à part, qu’est-ce qu’il signifie pour toi ?
Todd : Pendant l’écriture de ce roman (et du squelette que constituent les histoires précédentes), j’ai traversé beaucoup d’emmerdes, fait face à beaucoup de peurs que je ne savais pas comment affronter autrement qu’en les couchant sur le papier. Se sentir perdu dans sa propre vie, perdre un être cher, les nombreuses peurs avec lesquelles chaque parent est amené à vivre… Je m’attaque à toutes ces questions, ces émotions qui occupent mon esprit en les écrivant, en essayant de les mettre en lumière. Il y a beaucoup de tout cela dans le livre. De plus, mes nouvelles ont tendance à être biiieeeen plus sombres que mes romans.
L’écrivain Rob Hart et moi, on échange souvent des histoires et des idées, et il m’a dit un jour après en avoir lu une particulièrement sombre : “Mec, si je ne savais pas que tu allais bien, je serais sérieusement préoccupé par ta santé mentale, là.”
Sauf que parfois, je ne vais pas bien. Et mon écriture reflète cela. C’est ma thérapie. Sortir le poison de mon corps et le mettre en mots.

FRTT : Riverford est, pour l’instant, une exclusivité française. Ce n’est pas quelque chose d’inhabituel chez Gallmeister (Peter Farris, Samuel W. Gailey…), mais quel effet ça te fait ? Des pistes pour une sortie US ?
Todd : Aucun plan pour le moment. J’ai eu quelques offres d’éditeurs que j’ai refusées pour une multitude de raisons, des contrats douteux pour n’en citer qu’une et pas des moindres. J’ai dépassé ce niveau d’ego où je suis prêt à manger de la merde juste pour me retrouver sur une étagère. Je suis en pourparlers avec un autre éditeur en ce moment, donc…. Ceci dit, j’ai une assez mauvaise réputation aux États-Unis parce que j’interpelle les éditeurs prédateurs quand j’en vois un. Et ils sont légion ici. Mais s’il y a une chose que les prédateurs n’aiment pas, c’est bien d’être identifié comme tel.

FRTT : Les Morts de Riverford est encore un bébé, je sais, mais je dois te poser la question… Travailles-tu déjà sur un autre roman ? Que nous prépares-tu ?
Todd : Je travaille sur mon premier roman d’horreur, ce qui est génial. C’est bien-sûr aussi comique. Et je travaille lentement sur le troisième roman de Boo & Junior. Cela a été difficile. La pandémie n’a pas seulement mis le bordel dans mon emploi du temps, mais a également fait exploser ma capacité à me concentrer sur plusieurs choses. Ça, plus le fait que j’essaie de garder ces deux gars-là dans un monde assez réaliste. Alors, comment diable le Covid pourrait-il affecter deux mecs qui travaillent dans un bar ? Sans assurance maladie ? Et pas d’allocations ? Et pas de travail pendant des mois ? Ça foutrait leur vie en l’air, tu ne crois pas ? Je ne peux pas ignorer cela. Là, je pense avoir trouvé un moyen de l’intégrer solidement dans un récit. Pendant un bon moment, j’écrivais des pages et les plaçais dans un monde post-Covid, mais ça ne fonctionnait pas, car nous n’avons toujours aucune idée de ce à quoi cela va ressembler. C’était comme écrire de la science-fiction optimiste. Ça ne semblait pas… réel.

FRTT : Quel genre de lecteurs sont les américains ? Sont-ils plus amateurs de polars, de biographies, de comic books ? On sait qu’il est difficile d’exister en tant qu’auteur aux États-Unis, es-tu tenté par d’autres expériences comme écrire pour la télé comme Jordan Harper ou pour des comics comme Christa Faust (Bad Mother) ou Ta-Nehisi Coates (Black Panther)?
Todd : J’en suis à un point où j’ai arrêté de spéculer sur ce que les gens lisent ou pourquoi. Ou sur ce qui est publié et pourquoi. L’édition américaine, c’est vraiment le merdier. C’est un combat dans lequel je ne veux plus me lancer. 99% des écrivains ici sont traités au mieux comme du bétail et au pire comme du matériel jetable. C’est pourquoi tant de gens signent des contrats terribles avec des éditeurs non professionnels. Et ces éditeurs sont plus qu’heureux de profiter du désespoir et de l’ego de l’écrivain. Le 1% qui reste reçoit toute la promotion et tout l’amour des éditeurs, donc si tu n’écris pas ce qu’un compteur de haricots dans un bureau pense être un best-seller, tu es baisé. Et devine quoi ? Je leur ai remis un roman qui parle du déclin de l’Amérique et sur la façon dont la masculinité toxique empêche les hommes de gérer le chagrin. Spoiler alert !!! Tu ne le verras pas dans les librairies des aéroports américains de si tôt.
Quant à écrire pour un autre médium ? Sûr. Mais personne n’a demandé. Cassandra avait été choisi pour une adaptation en série il y a quelques années, mais Sony a solidement bousillé le travail. Alors, on en est là.

FRTT : Tu comptes parmi tes amis des auteurs tels que Rob Hart, Jordan Harper, Gabino Iglesias, Jake Hinkson, tous édités en France et le mois prochain, en avril, c’est au tour de Shawn A. Cosby (Les Routes Oubliées – Sonatine) d’être publié pour la première fois chez nous. Un petit mot pour nous le présenter ?
Todd : Le livre de Shawn sera l’une des meilleures choses que vous lirez cette année. Point final. Et le deuxième livre de cet enfoiré est encore meilleur. C’est un talent incroyable et vraiment l’une des personnes les plus gentilles qu’il vous sera donné de rencontrer. Cet enfoiré, c’est vraiment du lourd, et définitivement l’un des conteurs les plus talentueux que j’ai croisés. Asseyez-vous avec lui dans un bar pendant une heure et vous serez fan.

FRTT : Et sinon Todd, où en est ton français maintenant ? ^^ Prêt à revenir en France ?
Todd : J’étudie le français maintenant depuis presque deux années consécutives. C’est pas mal, mais ça pourrait être mieux (en français dans le texte). J’ai un peu triché, là… J’ai utilisé Google Translate pour vérifier mon français. J’étais assez proche pour que ce soit frustrant. Je suis désolé maintenant. Mec, je suis toujours prêt à revenir en France. Les lecteurs français sont la principale raison pour laquelle je continue d’écrire et trace lentement ma route vers l’asile (rires).

FRTT : Maintenant, la classique French Question : quelque chose de français qui t’inspire ou que tu as aimé récemment ?
Todd : Chouquettes. La réponse, c’est toujours les chouquettes. (“C’est comme le crack“, nous disait-il lors de notre premier entretien avec lui)

FRTT : Et réponses rapides…

  • Un film : Les Sept Samouraïs
  • Une musique : Jason Isbell
  • Un plat : une pizza new-yorkaise
  • Une boisson : café, café, café, café !
  • Un roman : L’Ombre du Vent de Carlos Ruiz Zafon
  • Un voyage : la France, baby ! Vous me manquez, les mecs.

Un grand merci à Todd Robinson pour son amitié et sa fidélité. Merci à vous de l’avoir lu et maintenant, courez vite chez votre libraire vous offrir Les Morts de Riverford, un polar social vraiment malin et bouleversant !

Notre chronique sur le roman : >> ici <<


ENGLISH VERSION :

From Richmond To Tacoma : Hi Todd ! Thank you very much for giving us some of your time. Five years have passed since the release of Une Affaire d’Hommes, five years, not always easy ones with difficult times, Trump and his people, the covid crisis… So, first of all, how are you these days ? And how are the Shade and the team doing ?
Todd Robinson : Surviving, as always. Yeah, it’s been a rough half-decade over here, but just the fact that we’re still standing has to count for something, right? As for Shade, still going as well. Every member of the floor staff got whacked out by Covid in one week…except me. So I wound up working seven straight shifts in order to keep the doors open. Every day counted. I had so many close contacts drop, including my kid, and I never caught it. And my kid is twelve. I’m the dad. Most of what we do is wrestle and fart on each other. At this point, I don’t just think I’m immune, I think I’m fucking immortal.

FRTT : The Dead of Riverford has just been published here in France, would you present it to us a little bit ? How did you write it ?
Todd : It’s a collage of a community not unlike the one I grew up around. The novel came about in several different ways. I’d published a few short stories in the fictional town, all with different flavors. In France, I was always asked about my short stories, but there was never any interest in a collection. That said, I got in my head that if I expanded the stories and tied them together, I’d have a novel. Lo and Behold, THE DEAD IN RIVERFORD.
That said, I wanted to stretch my legs a little bit. I don’t know if you have the same in France, but we have what we call Napoleon ice cream over here where you get a little bit of chocolate, a little bit of strawberry and a little bit of vanilla. I wanted to do that with a crime novel. Every story is differently flavored crime fiction-wise. I wasn’t sure if I could make all those flavors flow together, but it was fun to try. Actually, I’m lying. It was a fucking nightmare, but I was determined to make it work.

FRTT : It’s a more social novel with a slower pace, less “pulpy” than your previous ones, with a more assumed sensitivity. Your characters are dealing more with their wounds, their cracks. What did you want to experience here ? This novel seems to have a special emotional meanings for you, what does it mean to you ?
Todd : Over the course of writing the novel, (and the bones that were the stories beforehand) I was going through a lot of shit, facing a lot of fears that I didn’t know how to confront other than facing them on a page. Feeling lost in your own life, losing a loved one, the multitude of fears that every parent lives with… I tackle these issues of my own mind by writing them out, attempting to get those emotions into the light. This book had a lot of that in it. Also, my short stories tend to lean waaaay darker than my novels as a result. Author Rob Hart and I often bounce stories and ideas off each other, and he once said to me after reading a particularly dark piece, “Man, if I didn’t know you were okay, I’d be seriously concerned about your mental health tight about now.” Except sometimes I’m not okay. And my writing reflects that. It’s my therapy. Putting the poison out of my body and into words.

FRTT : Riverford is, for now, a French exclusivity. It’s not something unusual with Gallmeister (Peter Farris, Samuel W. Gailey… for example), how do you personally experience it ? Any leads for a US release?
Todd : No plans right now. I had a couple offers from publishers that I turned down for a multitude of reasons, not the least of which were questionable contracts. I’m past that point of ego where I’m willing to eat shit just to get on a shelf. I’m in talks with another publisher right now, so…. That said, I have a fairly poor reputation in the states because I call out predatory publishers where I see them. And they are legion over here. But if there’s one thing that predators don’t like, it’s being identified as such.

FRTT : The Dead of Riverford is still a baby, I know, but I have to ask… Are you working on another novel yet ? What are you cooking for us ?
Todd : I’m working on my first horror novel, which is a blast. It is, of course, also comedic. And I’m working slowly on the third Boo & Junior novel. That’s been rough. The pandemic threw a monkey wrench not only into my schedule, but also blew my ability to focus to the four winds. That, and I try to keep those boys in a fairly realistic world. Well, how the fuck would Covid affect two guys who work in a bar? With no health insurance? And no benefits? And no work for months? It would fuck their lives, right? I can’t ignore that. I think I’ve found a way to solidly weave it into a narrative. For a while I was writing pages and setting them in a post-Covid world, but that wasn’t working since we still have no idea what that’s going to look like. It felt like writing optimistic science fiction. It didn’t feel…real.

FRTT : What kind of readers are American people ? Are they more thrillers/crime stories, biographies or comic books lovers ? We know it’s difficult to exist as a writer in the USA, are you tempted by other experiences like writing for TV shows like Jordan H. did or for comic books like Christa Faust (Bad Mother) or Ta-Nehisi Coates (Black Panther) ?
Todd : I’m past a point of speculation on what people are reading or why. Or what gets published and why. American publishing is shitshow. It’s a fight that I’m no longer willing to get into. 99 percent of writers here are treated as cattle at best and disposable at worst. That’s why so many sign terrible contracts with unprofessional publishers. And those publishers are more than happy to take advantage of the writer’s desperation and ego. The 1 percent get all the promotion and all the love from publishers, so if you’re not writing what some bean-counter in an office thinks is going to be a bestseller, you’re good and fucked. And guess what? I handed them a novel in stories about American decline and how toxic masculinity prevents men from processing grief. SPOILER ALERT!!! You won’t be seeing it in any American airport bookstores any time soon. As for writing for another medium? Sure. But nobody’s asked. THE HARD BOUNCE was optioned for a television show a couple years back, but Sony fucked the pitch up solidly. So there’s that.

FRTT : You have among your friends writers such as Rob Hart, Jordan Harper, Gabino Iglesias, Jake Hinkson, all published in France and next month, in April, comes Shawn A. Cosby’s Blacktop Wastelands/Les Routes Oubliées… A little word to introduce him and his art to us ?
Todd : Shawn’s book is going to be one of the best things you’re going to read next year. Full stop. And that fucker’s second book is even better. He’s an amazing talent and genuinely one of the nicest people you ever want to meet. Fucker’s the real deal, and definitively one of the most natural storytellers I’ve crossed paths with. Sit with him in a bar for an hour and you’ll be a fan.

FRTT : Well, and then, tell me… How is your french now ? ^^ Ready to come back in France ?
Todd : J’etudie le francais maintenant depuis presque deux annees consecutives. C’est pas mal, mais ca pourrait etre mieux. I cheated a little there… I used Google Translate to check my French. I was close enough to be frustrating. Je suis desolee maintenant. Man, I’m always ready to come back to France. French readers are the biggest reason I’m slowly typing my way into the asylum.

FRTT : Last question “The classic French Question” : Something french that inspires you or you liked recently ?
Todd : Choquettes. The answer is always choquettes.

And finally, quick answers :
1 movie : Seven Samurai
1 music : Jason Isbell
1 meal : New York pizza
1 drink : Coffee, coffee, coffee, coffee
1 novel : The Shadow of the Wind by Carlos Ruiz Zafon
1 trip :  France, baby ! Miss you guys.
©Photos : Todd Robinson
Propos recueillis par Smith pour From Richmond To Tacoma – Traduction : Smith with a little help from my friend Georges – 2022
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