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Mothercloud, ROB HART

Belfond

Difficile de choisir par où commencer quand il s’agit de parler de MotherCloud. Le fond ? La forme ? L’histoire ? MotherCloud c’est avant tout une entreprise. MotherCloud, c’est le modèle de société qui nous pend au nez si on ne change pas notre manière de consommer. Et, en ça, c’est une dystopie. Pas une dystopie où le monde est ravagé par une catastrophe, une épidémie ou je ne sais quoi d’autre… Mais une dystopie, subtile et réaliste, qui explore les dérives de nos modes de vie d’aujourd’hui.

Tout a commencé par un gamin, Gibson Wells, qui voulait juste dépanné les gens de son quartier en allant faire les courses pour eux. L’intention est bonne, la philosophie qui germera dans l’esprit de Wells l’est moins : “C’est le marché qui décide”. Le rouleau compresseur est lancé.
Les premiers bureaux aux fournitures miteuses vont se transformer en énormes campus à la technologie ultra-avancée avec au cœur de ce changement les drones de livraison et une tragédie.
Alors que les commerces de centre-ville, quand ils ne sont pas déjà fermés depuis longtemps, sont agonisants, seuls les grands centres commerciaux périphériques peuvent encore résister face à MotherCloud jusqu’à cette tuerie inhumaine le jour du Black Friday. Les gens fuient désormais les zones d’affluence, l’e-commerce explose et MotherCloud se développe comme jamais, recrutant à tour de bras. Au sein de ces immenses campus, les employés abandonnent toute liberté au profit d’un tout relatif confort et de la sécurité. Chaque déplacement est scruté et enregistré, efficacité et rentabilité méticuleusement contrôlées grâce à la CloudBand, l’AppleWatch-GPS façon Amazon. Là où certains verraient une forme d’aliénation et d’esclavage moderne, Gibson vous dirait que tout est fait pour que l’employé se sente bien, tout simplement, dans un environnement réconfortant. Se loger, se restaurer, se divertir dans le giron MotherCloud, l’argent gagné dépensé dans l’entreprise qui l’emploie… Mais après tout, pourquoi aller voir ailleurs ? MotherCloud fournit absolument tout !

Le roman s’ouvre sur ce qui serait au cinéma l’équivalent d’un long plan séquence, la caméra passant d’un personnage à un autre sans rupture dans le récit. Un coup de génie !
On suit alors Paxton, idéaliste romantique, inventeur et ancien directeur d’une petite entreprise coulée par les impitoyables conditions commerciales de MotherCloud, et Zinnia, espionne industrielle calculatrice, chargée d’enquêter pour une organisation secrète sur les sources d’énergies capables d’alimenter de tels complexes et trouver les moyens de les mettre à mal. Ces deux personnages apportent l’humanité indispensable au roman et les questions se posent : que ferions-nous ? Accepterions-nous de vivre et travailler dans ces conditions ? Quelle est la recette du si délicieux CloudBurger ? Et c’est quoi cette allumette ?

Rob Hart fait preuve d’une parfaite maîtrise de la narration et de la dramaturgie. MotherCloud est un premier roman abouti et intelligent, subtil et flippant qui entre en résonance avec les témoignages d’employés de l’entreprise au sourire ou avec les enquêtes soulignant les difficultés des commerces de centre-ville un peu partout. Nul doute que ce roman, dès la fin du confinement, sera âprement défendu par les libraires et qu’il connaîtra une longue vie, bien méritée, en grand format puis en poche, mais également au cinéma, les droits ayant été achetés par un certain Ron Howard. On compare déjà un peu partout Rob Hart à de grands noms comme Huxley, Orwell, Atwood ou Bradbury… On pense à des films comme Bienvenue À Gattaca ou Soleil Vert… C‘est dire si ce jeune auteur de tout juste 38 ans, originaire de New York, frappe un grand coup !

À vous de vous faire votre idée. Nous, on est vraiment épaté !

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