Il est un de ces auteurs dont on attendait une première publication en France avec impatience et dont on avait très hâte de vous parler. Shawn A. Cosby, 48 ans, est originaire du comté de Mathews en Virginie, à quelques kilomètres à l’est de Richmond, et il est un des auteurs noir américain qui pourrait bien mettre un coup de pied dans les parties les plus conservatrices du polar outre-atlantique. Avec Attica Locke, Jesmyn Ward, Colson Whitehead ou encore Kiese Laymon, il pourrait très vite figurer parmi les auteurs qui font bouger les lignes et dont il est bon d’écouter la parole. Si vous n’avez pas encore lu Les Routes Oubliées paru chez Sonatine en avril 2022, peut-être cette interview aiguisera votre curiosité et vous donnera envie de plonger dans ce roman noir au juste équilibre entre tension, violence et sensibilité.
From Richmond To Tacoma : Salut Shawn ! Merci de nous accorder un peu de ton temps, nous sommes très fiers de t’accueillir sur notre page. Après plusieurs années à te suivre sur les réseaux sociaux, on peut enfin découvrir tes romans ici en France. Peux-tu nous parler de la genèse des Routes Oubliées ? D’où vient ce roman ? Y a-t-il des œuvres ou des auteurs qui ont nourris l’univers que tu souhaitais mettre en place ?
S.A. Cosby : Les Routes Oubliées m’a été inspiré par différentes choses, mais la principale inspiration était ma relation avec mon père et comment elle a évolué au fil des années… Comment nous définissons notre masculinité.
FRTT : Tu parviens à trouver un équilibre assez fou entre violence et émotion ? Beauregard est un personnage très charismatique, les liens avec sa famille sont très forts et très émouvants, et cette tendresse contrebalance parfaitement la violence de certaines scènes. Était-ce un objectif conscient et un but dès le départ ou quelque chose qui s’est naturellement mis en place avec l’écriture ?
Shawn : Je voulais absolument que Beauregard soit charismatique mais aussi que les liens avec sa famille fassent de lui un personnage auquel on peut s’identifier. Comme lui, nous avons tous dans nos vies des personnes que nous protégerions quel qu’en soit le prix.
FRTT : Courses, trafics, alcool de contrebande, “activités parallèles”… En 2022, aux États-Unis, dirais-tu qu’il est encore difficile de faire autrement pour s’en sortir, s’élever socialement ou est-ce juste essentiellement un excellent outil de fiction et de dramaturgie ?
Shawn : Je pense que tant qu’il y aura de la pauvreté, du racisme et des conflits sociaux, il y aura toujours des gens qui devront sortir des chemins balisés pour survivre.
FRTT : Parle nous de la figure du père dans ton roman. Il y a celui de Beauregard qui a dû quitter sa famille après un drame, pour la protéger, et dont le fantôme vient le hanter au moment où celui-ci a des décisions difficiles à prendre… et bien-sûr Beau lui-même qui tente d’offrir une vie heureuse à ses enfants.
Shawn : Je pense que Beauregard veut désespérément être un meilleur père que son propre père, mais il finit par commettre les mêmes erreurs que lui. Il vit dans un monde où son orgueil l’a conduit sur un chemin sombre. Mais en fin de compte, c’est un homme qui aime ses enfants.
FRTT : Le racisme n’est pas à proprement parlé le sujet du roman, mais on le sent là partout, au coin de la rue, sous la forme d’un drapeau confédéré, d’un regard ou d’une remarque. Ta famille est installée depuis des générations en Virginie, comment c’est de grandir dans ce contexte ?
Shawn : Je l’ai déjà dit, mais vivre dans le Sud en tant que personne de couleur, ce n’est pas pour les âmes sensibles. Il faut un tant soi peu de force et de dévouement pour survivre dans un endroit où vos ancêtres ont été réduits à l’esclavage.
FRTT : David Joy nous parlait dans l’interview qu’il nous a accordé du fait que le rural noir, essentiellement représenté jusqu’à il y a peu par des auteurs blancs, n’était pas représentatif de la réalité, mais qu’aujourd’hui avec toi et d’autres, cela changeait enfin. Partages-tu cet avis ? Il y a encore beaucoup à faire ?
Shawn : Je voudrais juste commencer par dire que j’admire énormément David Joy. Je pense que toute fiction est une réalité exprimée de façon exacerbée. Donc, dans ce sens, aucune fiction n’est réaliste, mais si vous êtes un bon écrivain, vous pouvez faire en sorte que les gens suspendent leur incrédulité.
FRTT : Todd Robinson et Rob Hart sont tes amis, David Joy défend ton talent depuis longtemps maintenant… Que dirais-tu de ces gars-là à des lecteurs qui ne les connaitraient pas encore ?
Shawn : Todd Robinson est l’un des auteurs de romans policiers les plus sous-estimés d’Amérique, un vrai barde du peuple. Rob Hart est probablement l’écrivain le plus courageux que je connaisse, quelqu’un qui n’a pas peur de s’attaquer aux vaches sacrées du capitalisme américain. Et David Joy est un véritable artiste qui façonne des contes qui dépassent la définition trop étriquée du “roman policier”.
FRTT : Et pour terminer, la question que nous appelons la “French question” : quelque chose de français que tu aurais aimé ou qui t’aurait inspiré récemment ? Un film, une musique , un repas...
Shawn : Oh ! j’ai aimé que Macron ait gagné l’élection (rires)… Non, en réalité, je suis surtout content que Le Pen n’ait pas été élue. La politique autoritaire est une menace pour la démocratie.
FRTT : Et réponses rapides…
- Un film : Rafiki, film kényan réalisé par Wanuri Kahiu – 2018
- Une musique : de l’electro française
- Un plat : du foie gras
- Une boisson : du vin de bordeaux
- Un roman : La Peste d’Albert Camus
- Un voyage : Je ne suis encore jamais allé en France mais j’aimerais visiter la campagne française.
Merci aux éditions Sonatine et à Auxane B. en particulier, à Pascal Didier pour sa complicité et à S.A. Cosby pour sa disponibilité.
Notre chronique du roman Les Routes Oubliées est à retrouver >> ici <<
ENGLISH VERSION :
From Richmond To Tacoma : Hi Shawn! Thanks a lot for giving us some of your time, we are very proud to welcome you to our blog. After several years following you on social networks, we can finally discover your novels here in France. Can you tell us about the genesis of Blacktop Wastelands ? Where does this novel come from ? Are there any works or authors that fed the universe you wanted to set up?
Shawn Cosby : BLACKTOP WASTELAND came from a few different places but the main inspiration was my relationship with my father and how it changed over the years… how we define our masculinity.
FRTT : You figure out to build an amazing balance between violence and emotion on your story ? Beauregard is a very charismatic character, the ties with his family are very strong and very moving, and this tenderness perfectly counterbalances the violence of many scenes. Was it a conscious goal and purpose from the beginning or something that naturally fell into place with the writing?
Shawn : I definitely wanted to make Beauregard charismatic but also the bonds with his family make him a relatable character. We all hopefully have people in our lives we would do anything to protect.
FRTT : Races, trafficking, bootleg alcohol, “side activities”… In 2022, in the United States, would you say that it’s still difficult to do otherwise to grow, to rise socially or is it just essentially an excellent tool for fiction and dramaturgy?
Shawn : I think as long as you have poverty and racism and class issues you will always have people who will have to step outside of traditional society to survive.
FRTT : Tell us about the father figure in your novel. There is Beauregard’s one who had to leave his family after a tragedy, to protect it, and whose ghost comes out to haunt his son’s thoughts when he has difficult decisions to make… and of course Beau himself who tries to provide a happy life for his children.
Shawn : I think Bug desperately wants to be a better father than his own father but he also makes the same mistakes his father made …he lives in a world where his hubris has taken him down a dark path . But at the end of the day he is a man who loves his children.
FRTT : Racism isn’t strictly speaking the subject of the novel, but we feel it there everywhere, around the corner, in the form of a Confederate flag, a look or a remark. Your family has been in Virginia for generations, what’s it like growing up in that environment?
Shawn : I said it before but living in the South as a person of color isn’t for the weak of heart. It takes a certain degree of strength and dedication to survive in a place where your ancestors were enslaved.
FRTT : David Joy told us in the interview he gave us of the fact that rural noir – essentially represented until recently by white writers – were not representative of reality, but today with you, Attica Locke and others, that was finally changing. Do you share this opinion? Is there still a lot to do ?
Shawn : First let me say I admire David Joy immensely. I think all fiction is reality articulated in a heightened way . So in that sense no fiction is realistic but if you’re a good writer you can make people suspend their disbelief.
FRTT : Todd Robinson and Rob Hart are friends of yours, David Joy has been defending your talent for a long time now… What would you say about these guys to unlucky readers who don’t know them yet ?
Shawn : Todd Robinson is one of the most underrated crime writers in America. A true bard of the people. Rob Hart is probably the bravest writer I know, someone who isn’t afraid to tackle the sacred cows of American capitalism. And David Joy is a true artist who crafts tales that exceed the narrow definition of “crime fiction “.
FRTT : And, to finish, the question we usually call “the French question” : something French that inspires you or you liked recently ? (It could be a movie, a song, some food….)
Shawn : Oh I liked that Macron won the election lol… No actually I am happy Le Pen was not elected. Authoritarian politics is a threat to democracy.
And finally, quick answers :
1 music : French Techno
1 movie : Riffiki
1 book : The Plauge by Albert Camus
1 drink : Bordeaux wine
1 meal : Foie gras
1 trip : I have not been to France yet but I’d love to go to the French Countryside
Propos recueillis par Smith pour From Richmond To Tacoma – Traduction : Smith – 2022