Close

Apprendre À Se Noyer, JEREMY ROBERT JOHNSON

Cherche Midi / vice caché

Voilà, dans cette deuxième semaine de Rentrée Littéraire 2021, un petit roman qui n’y paraît pas, 160 pages seulement, mais qui pourrait bien vous laisser dans un drôle d’état si vous vous laissez embarquer. Ça commence tout doucement, comme un conte… Il était une fois un père et son jeune fils…

Dans un pays d’Amérique du Sud, à une époque non définie qui pourrait être le début XXe siècle. Un homme emmène son enfant à la rivière. Ce n’est pas la première fois qu’ils se rendent tous les deux au bord de l’eau, au cœur de la jungle. Avec le temps, le jeune garçon a pris de l’assurance, et peut maintenant s’aventurer plus loin dans l’eau, bander l’arc, l’œil rivé sur les poissons guettant le moindre mouvement, certains pouvant être dangereux. Avec des feuilles, son père lui a appris comment fabriquer une sorte de barrage en entonnoir. Les feuilles sont enduites d’un poison qui rend les poissons amorphes et donc plus faciles à chasser. Mais – car oui, il y a mais… Et c’est là où le conte bascule – ce jour-là est une journée chaude et longue et peut-être que l’homme n’a pas prévu assez d’eau dans sa gourde pour lui et son fils. Occupé, il relâche son attention et quitte l’enfant des yeux. Son fils va avoir soif et porter à sa bouche l’eau claire et fraîche de la rivière… En peu de temps ses membres s’engourdissent et, petit à petit, il perd pied, un énorme poisson rôdant non loin. Conscient des risques que court désormais son petit dans les eaux profondes de la rivière, l’homme n’a plus qu’une priorité : tirer son fils sur le rivage. C’est à ce moment-là que l’eau s’agite et qu’un monstre surgit, une mâchoire énorme, gueule béante et affamée, emportant l’enfant. Un terrible requin-taureau a pris son fils. Accablé par la culpabilité, incapable de retourner chez lui et avouer sa faute à la mère de l’enfant, le père va choisir de fuir, loin de son village, de ses semblables. Anéanti, affaibli, délirant, il s’enfonce dans les limbes.

Conte oui, mais conte dramatique, Apprendre À Se Noyer est avant tout une fable horrifique sur la culpabilité. Et ici spécifiquement, celle d’un homme qui perd son fils. Passé le tiers de l’histoire, on rentre avec le père dans un trip délirant, rongé qu’il est par la douleur, la faim et le besoin de rédemption. Il n’a qu’une obsession, aller chercher son fils dans la mort, dans la rivière, dans le ventre du monstre. Marchant jusqu’au bout de la fatigue, il finit par s’effondrer. il va se réveiller chez la Cuja, une sorcière locale. Elle va le soigner, lui ouvrir les yeux autant que possible sur ce qu’il s’est passé et lui indiquer le chemin vers le salut, afin qu’il puisse faire son deuil.

Ce premier roman de Jeremy Robert Johnson est une expérience, une lecture assez déconcertante. Le chemin du père vers la lumière est assez long et plus il s’enfonce dans la fièvre, la douleur et le délire, plus on se demande où on va. Mais on tient, en apnée, embarqué dans le tumulte de la rivière et les pensées du personnage, parce qu’homme ou femme, on ne peut s’empêcher de s’identifier à lui, à ce qu’il ressent, la perte, la peine… et on veut savoir ce qu’il connaîtra à la fin du voyage, les abysses ou la rédemption. Une lecture dont on se souvient tant elle est intense mais qui déroutera sûrement plus d’un lecteur. Après, est-ce le genre d’histoire que l’on peut commencer sans la terminer ? Vraiment pas sûr. En tout cas, moi, je n’ai pas pu le lâcher.

 

 

 

Close