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Entretien avec WILLY VLAUTIN

Vous le savez maintenant si vous nous suivez régulièrement, Willy Vlautin est un auteur qu’on apprécie tout particulièrement. Originaire du Nevada, il a aujourd’hui 54 ans et vit dans l’Oregon. Écrivain talentueux, il est également guitariste auteur-compositeur d’abord avec Richmond Fontaine (le nom de notre blog étant un clin d’œil à cette formation) puis The Delines. Devenir quelqu’un, qui vient de paraître début février 2021, est son cinquième roman publié en France. Cinq romans, qui nous ont tous touchés par leur humanité, leur pureté, des personnages attachants et bouleversants.

Alors quand Francis Geffard, directeur de la collection Terres d’Amérique au sein de la maison Albin Michel, nous a proposé de réaliser une interview nous avons bien évidemment accepté, espérant ainsi vous le faire découvrir un peu plus. Willy Vlautin est assez discret, alors nous sommes très fiers de pouvoir vous proposer cette interview exclusive.

From Richmond To Tacoma : Devenir Quelqu’un raconte l’histoire d’une personne qui cherche un sens à sa vie, à ce qu’il est. En ça, il est différent de tes précédents romans dont les personnages fuyaient quelqu’un ou quelque chose. Peut-on dire que ce livre est plus optimiste que les autres ?
Willy Vlautin : Je ne sais pas si “optimiste” est le mot que j’utiliserais. Horace est abîmé et seul et ne sait pas comment aimer ou être aimé correctement. Je pense que c’est pour cette raison qu’il veut être un héros, une sorte de chevalier qui déboulerait et sauverait le vieux couple du ranch avec qui il vit. Il change son identité et essaie de devenir un “champion” parce qu’il pense que c’est la seule façon pour lui de mériter l’amour.

FRTT : Ce roman est un grand livre sur la boxe. Es-tu familier avec le noble art ? L’as-tu pratiqué ? Et qu’est-ce qui t’as donné envie d’écrire sur la boxe ?
Willy : J’ai grandi à une époque où, du moins aux États-Unis, la boxe était un sport majeur. Mon père avait pour habitude de regarder les matchs et quand je lui rendais visite, je les regardais avec lui. En vieillissant, j’ai lu beaucoup de livre sur la boxe car je trouve que les boxeurs sont souvent des personnages dramatiques. Et dès mon plus jeune age, j’ai toujours été attiré par la dramaturgie de la boxe. J’étais intéressé par les histoires de boxeur avant qu’ils deviennent boxeur justement, mais aussi par leur vie après leur carrière. Et comme pour tout sport, mon intérêt va et vient. Parfois, c’est trop pour moi et d’autres fois, j’adore ça.

FRTT : Sans révéler la fin de Devenir Quelqu’un, c’est la première fois que la conclusion d’un de tes livres est si abrupte. Avais-tu déjà cette idée en tête quand tu as commencé à écrire cette histoire ?
Willy : Oui, je connaissais l’histoire dès la première page. Ça a été un roman difficile à écrire, j’ai pris beaucoup de mauvaises directions ici ou là, mais j’ai toujours su que la fin serait celle-là.

FRTT : A la différence d’autres auteurs, comme Peter Farris ou David Joy par exemple, tes personnages ne font jamais usage de la violence pour régler leurs problèmes. Dirais-tu que tu es optimiste par nature pour préserver comme tu le fais tes personnages de cette violence ?
Willy : Dans la vraie vie, une fois que tu as eu affaire à la violence, ça te colle à la peau. Ses conséquences peuvent se retrouver tatouées en toi. Cela peut être horrible et terrifiant et te changer la vie. Alors quand il y a de la violence dans mes romans, c’est une violence qui a un prix et qui est là pour une bonne raison. En tant que fan de noir, j’aime les romans sombres et violents, mais pour ma part je n’utilise la violence que quand je suis obligé, quand il y a un besoin pour l’histoire. Il y a trop de glorification de la violence au cinéma ou dans les livres et je ne vois pas l’intérêt pour moi d’en faire partie.

FRTT : Sur le blog,  on aime souvent faire le lien entre tes écrits et ceux de Pete Fromm – vous parlez tous les deux de la classe moyenne, des gens normaux (en France, on utilise l’expression ” écrivains du réel” ) – mais aussi te mettre en parallèle avec Michael Farris Smith et les personnages en marge de la société dont il aime parler. Que penses-tu de ces comparaisons ?
Willy : De Michael Farris Smith, je n’ai lu que Le Pays Des Oubliés (Sonatine – 2019) et j’avais adoré. Pete Fromm est vraiment un ami très cher et j’ai quasiment lu tous ses livres. C’est donc un honneur d’être comparé à l’un comme à l’autre.

FRTT : A ton avis, est-ce que la pandémie et la période que nous vivons peut avoir quelque influence sur les auteurs actuels et ceux à venir ? Sur ce qu’ils écrivent et comment ils l’écrivent ?
Willy : Pour moi, le COVID a surtout signifié que je n’ai pas eu à voyager. Je suis resté à la maison et j’ai écrit comme jamais je n’avais écrit avant. Habituellement,  j’écris pendant quelques semaines, puis je prends la route et quand je rentre, j’essaie de me remettre dans un mode de vie à la maison et alors je me remets à écrire pendant quelques semaines et je repars en tournée. Donc pour moi, cette période m’a permis de travailler encore et encore. Certes, c’est effrayant et encore plus pour les musiciens, mais je dois avouer que, en ce qui me concerne, devoir rester à la maison a été vraiment sympa. Je n’avais jamais été à la maison pour voir le printemps et l’automne dans leur intégralité et ça a été incroyable.

FRTT : Bon, il est évident que tes romans sont plus sociaux que politiques mais cependant, peut-on espérer que des politiciens tels que Joe Biden ou Kamala Harris puissent apporter une forme d’aide, de soutien, d’espoir à des gens comme tes personnages, une population bien loin des grandes villes ?
Willy : J’ai l’impression que là, vraiment, on a juste empêcher le bateau de sombrer. Malheureusement, je ne pense pas que nous ayons fait beaucoup plus que cela. Le système politique américain est cassé et notre peuple divisé. C’est effrayant, flippant et démoralisant. Il y a des gens bons et intelligents des deux côtés mais j’ai peur que ce soient ceux-là qui se noient. En tant que nation, nous sommes dans une mauvaise situation et je pense que c’est la classe ouvrière en particulier qui va en payer le prix.

FRTT : Richmond Fontaine et maintenant The Delines, cinq romans… Comment gères-tu à la fois l’écriture de tes livres et celle de tes chansons ? Est-ce que tu suis l’humeur du moment ou as-tu un planning défini ?
Willy : C’est compliqué. Je n’ai jamais été bon pour jongler entre les deux. La musique et les livres sont tous les deux chronophages. Ecrire des romans est ce que je préfère faire, mais chacun prend plusieurs années de travail. J’adore ce type de travail mais parfois je n’ai pas assez de temps. Donc oui, le temps est un problème. Le boulot d’un groupe est d’écrire et d’enregistrer certes, mais plus que tout c’est d’être en tournée. Et nous sommes un petit groupe alors je suis impliqué dans beaucoup des rouages de chaque tournée. Donc beaucoup de jongles et je ne suis pas le meilleur jongleur. Mais j’aime écrire des chansons et surtout, plus que tout, j’adore écrire des romans.

FRTT : Comment la bande son de Devenir Quelqu’un a-t-elle été composée? Nous aimerions savoir si tu avais une mélodie ou un thème musical en tête quand tu étais en train d’écrire ou est-ce quelque chose qui vient seulement une fois l’écriture terminée ?
Don't Skip Out On Me by Richmond Fontaine | Album ReviewWilly : Horace Hopper, le personnage principal, m’a brisé le cœur pendant trois ans, alors j’ai écrit beaucoup de chansons pour lui pendant cette période. Je voulais que la bande originale soit le reflet du personnage et de son univers. Sa solitude, la solitude du désert, la solitude qu’il ressent dans la ville. Un gamin perdu dans le monde. J’ai donc écrit des chansons exprimant cela et j’ai essayé de composer un morceau pour chacune des grandes scènes du roman. De tous les disques auxquels j’ai participé, c’est l’un de mes préférés. C’était le dernier album de RICHMOND FONTAINE et j’adore ces gars-là. L’enregistrement a vraiment été génial. Nous avons répété et répété, puis bouclé le disque en une semaine.

FRTT : Et pour terminer, la question que nous appelons la “French question” : quelque chose de français que tu aurais aimé ou qui t’aurais inspiré récemment ? Un film, une musique , un repas...
Willy : Je sais qu’il n’est pas français mais belge, mais je viens de re-regarder Deux Jours, Une Nuit et une fois encore cela m’a bouleversé. Je suis un grand fan des frères Dardenne et Marion Cotillard est incroyable. Elle est une star mais pourtant je crois qu’elle est Sandra, une femme désespérée qui se bat contre la dépression et essaie de garder son boulot.
Et probablement le meilleur repas que j’ai fait dans ma vie a été à Tours dans un restaurant appelé L’Hédoniste. Mon groupe était en tournée et nous avons eu la chance de manger là. On y était tombé par hasard. THE DELINES adore manger et ce restaurant reste celui dont nous parlons encore aujourd’hui et nous y avons encore manger il y a deux ans.

FRTT : Et réponses rapides…

  • Un film : Le Trésor de la Sierra Madre de John Huston (1948)
  • Une musique : Natalia Lafourcade ou Karen Dalton
  • Un plat : à L’Hédoniste, restaurant et caviste à Tours
  • Une boisson : Tequila Centenario
  • Un roman : La mort de Jim Loney de James Welch (Albin Michel-1993 et 10/18-1995)
  • Un voyage : À cause du Covid, je n’ai pas vu mon frère ou ma tante depuis longtemps. Je voyagerais n’importe où si c’était pour les voir.

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Nous tenons à remercier tout particulièrement Francis Geffard pour sa confiance et son soutien et pour nous avoir donné l’opportunité de réaliser cette interview qui, nous l’espérons, vous donnera envie de vous plonger dans l’univers bouleversant de Willy Vlautin. 

Merci beaucoup de nous avoir lu.

Crédit photo : ©️Lee Posey

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ENGLISH VERSION

From Richmond To Tacoma : Don’t Skip Out On Me is about someone who’s searching a meaning to his life, to his identity. In this way, it’s different from your previous novels whose characters were running away from someone or something. Could we say that this book is more hopeful than the others ?
Willy Vlautin : I’m not sure hopeful is the word I would use. Horace is damaged and alone and doesn’t know how to love or be loved properly. I think because of this he wants to be a hero, some sort of knight to come in and save the old ranch couple who he lives with. He changes his identity and tries to be a “champion” because he think it’s the only way he’ll be deserving of love.

FRTT : This novel is a great book about boxing. Were you familiar with the noble art ? Did you practice it ? And what decided you to write about it ?
Willy : I grew up at a time when, at least in the USA, boxing was a mainstream sport. My dad used to watch the fights and when I’d visit him I’d watch with him. As I grew older I read a lot about it because boxers are often such tragic characters. And ever since I was a boy I was drawn to the tragedy of boxing. I was interested in the stories of the boxers before they became boxers and also afterward when they were done with boxing. As for the sport, I go in and out of liking it. Sometimes it’s too much for me and sometimes I love it.

FRTT : Avoiding to reveal the end of Don’t Skip Out On Me, it’s the first time the closing of one of your novel is that abrupt. Did you have this idea in mind when you began to write the story?
Willy : Yes, I knew the story from the first page. It was a tough novel to write, I took a lot of wrong turns here and there but always I knew the ending.

FRTT : Unlike some writers, like David Joy or Peter Farris for example, your characters never use violence to get out of their problems. would you say you’re an optimistic by nature type of guy to manage preserving your characters from violence?
Willy : In real life if you’ve experienced violence it sticks with you. Its effects can become tattooed into you. It can be horrific and terrifying and life changing. So when there is violence in my novels its violence that comes with a price and its there for a reason. As a fan of noir, I like violent dark novels but for me I only use violence when I have to, when the story needs it. There’s too much glorification of violence in movies and novels and I have no interest in being a part of that.

FRTT : On our blog, we like to make some kind of link between your writings and Pete Fromm’s – you both talk about average people, normal people (in French we use the expression “écrivain du réel”) – and also parallels with Michael Farris Smith and the outsiders of the society he likes to talk about. What do you think of these comparisons ?
Willy : I’ve only read The Fighter by Michael Farris Smith and I loved it. Pete Fromm is a great friend of mine and I’ve read nearly all his books. So it’s an honor to be compared to either of them.

FRTT : According to you, will the pandemic and the covid-19 period have some kind of influence on the current writers and those to come ? About what they write and how they write it…
Willy : For me COVID has meant that I haven’t had to travel. I’ve just been home and so I’ve gotten to write a lot more than ever before. Usually I write for a few weeks and then I’m on the road and then I come home, try to get my homelife together, and then I write for a couple weeks and then I’m back on the road. So COVID has been alright as I can just work and work. Scary and of course especially hard for musician but I have to say getting to stay home so much has been nice. I’d never been home to see both spring and fall in their entirety and it’s been amazing.

FRTT : Well, obviously your novels are more social than politic but however, can we expect politicians like Joe Biden and Kamala Harris could bring some help, support and hope to people like your characters, a population away from the big cities ?
Willy : It does feel now that we’ve stopped our ship from sinking. Sadly I don’t think we’ve done much more than that. America’s political system is broken and our people are divided. It’s frightening and scary and disheartening. There are good and smart people on both sides but I’m afraid they’re the ones getting drown out. So we’re in rough shape as a nation and I think the working class in particular are going to pay the price.

FRTT : Richmond Fontaine and now The Delines, five novels… How do you deal with the writing process of your books and your songs ? Do you follow your current mood or any given schedule ?
Willy : It’s tough. I’ve never been good at juggling them. Both music and books are so time intensive. Writing novels is my favorite thing to do but each one takes years of work. I love that sorta work but often I don’t get enough time. So time is the problem. The work of the band is writing and recording, sure, but even more than that, traveling. And we’re a smalltime band so I’m involved in a lot of the mechanics of each tour. So a lot of juggling and I ain’t the best juggler. But I love writing songs and more than anything I love writing novels.

FRTT : How did the soundtrack of Don’t Skip Out On Me has been composed ? We’d like to know if you have some kind of musical theme or variation playing in your mind while you’re sitting at your writing table or is it something that comes only once the book is complete ?
Willy : Horace Hopper, the main character in DON’T SKIP OUT ON ME, broke my heart for three years so I wrote a lot of songs for him during that time. I wanted the soundtrack to have the feel of Horace and his world. The loneliness of him, the loneliness of the desert, the loneliness of Horace in the city. A kid lost in the world. So I wrote the songs reflecting that and I tried to write a song for every big scene in the novel. It’s one of my favorite records that I’ve been a part of. It was the last RICHMOND FONTAINE record and I love those guys and the session was a blast. We rehearsed and rehearsed and then knocked the record out in a week.

FRTT : And, to finish, the question we usually call “the French question” : something French that inspires you or you liked recently ? (It could be a movie, a song, some food….)
Willy : I know this isn’t a French movie, it’s Belgium, but I just re-watched TWO DAYS, ONE NIGHT and it once again devastated me. I’m a big fan of the Dardenne brothers, and Marion Cotillard was brilliant. She’s such a big star and yet I believed she was Sandra, a desperate woman struggling with depression and trying to save her job. And probably the best meal I’ve ever had in my life was in Tours at a place called L’Hédoniste. My band was passing through and we were lucky enough to eat there. We just stumbled upon it. The Delines love to eat and that dinner is still one we talk about to this day and we had eaten there over two years ago.

. And finally, quick answers :

1 music : Natalia Lafourcade or Karen Dalton
1 movie : Treasure of the Sierra Madre de John Huston (1948)
1 book : Death of Jim Loney by James Welch (1979)
1 drink : Centenario Tequila
1 meal : at L’Hédoniste in Tours
1 trip : Because of COVID I haven’t seen my brother or aunt for long time. I’d travel anywhere if I could see them.

Thanks a lot to Willy and Francis Geffard. 

©Photos : Lee Posey

Propos recueillis par Fap & Smith avec la complicité de Georges pour From Richmond To Tacoma  – 2021

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