S’il y a quelqu’un qui vous fait vivre la vie des quartiers de New-York au travers de ses écrits, une ville qu’il chérit plus que tout, c’est bien William Boyle. Bien qu’exilé désormais dans le Mississippi, la ville où il a grandi ne cesse de le hanter et bien naturellement c’est le lieu où chacune de ses histoires prend place. D’abord au sein de la trilogie de Brooklyn et maintenant avec ce dernier livre paru au début de l’été 2020, une nouvelle publication légèrement en rupture avec les précédents ouvrages mais qui garde tout l’ADN des écrits de Boyle. Et comme c’est un auteur qu’on aime aussi beaucoup ici, on lui a demandé s’il voulait bien nous accorder une petite interview. Et c’est avec enthousiasme qu’il a accepté. Et c’est avec tout autant d’enthousiasme que nous la partageons avec vous.
From Richmond To Tacoma: L’Amitié Est Un Cadeau A Se Faire marque une rupture avec tes trois précédents romans. Il est moins sombre et est beaucoup plus drôle, avec des scènes dignes d’une pièce de théâtre. Pourquoi ce besoin?
William Boyle : J’ai vraiment été influencé par les comédies de crime de Jonathan Demme Veuve Mais pas de Trop et Dangereuse Sous Tous Rapports, ainsi que part les films de Shane Black. J’adore Kiss Kiss Bang Bang et The Nice Guys et je voulais écrire quelque chose avec cette énergie loufoque car c’est le genre de trucs vers lesquels je retourne toujours en tant que fan. J’espère que mon travail à un côté humour noir mais je voulais qu’ici ce soit la ligne conductrice. La confrontation dans la maison de Wolfstein est vraiment une scène de théâtre loufoque. J’ai revu des films comme Boule de Feu de Howard Hawkes et Mon Homme Godfrey ou Un Coeur Pris Au Piège pour me rendre compte comment les maitres installaient le chaos dans leur mise en scène. Le chaos est drôle. Il y a beaucoup de chaos dans L’Amitié Est Un Cadeau A Se Faire. Je crois qu’une bonne partie de l’humour du roman vient de tout ça.
FRTT : Le personnage principal du Témoin Solitaire était une femme mais elle subissait les évènements et semblait perdue. Ici, Rena, Wolfstein et Lucia contrôlent la situation et dominent les personnages masculins.Peut-on dire que L’Amitié Est Un Cadeau A Se Faire est un roman féministe?
William : J’espère que les deux sont perçus comme tels. Le Témoin Solitaire parle plus de la recherche d’identité et du fait d’être un outsider, alors que L’Amitié Est Un Cadeau A Se Faire parle plus de résistance et de survie. Mais les deux sont des histoires de femmes qui veulent traiter avec honnêteté dans la vie alors que tous les hommes autour d’elles non.
FRTT : Quand je parle de Gravesend, Tout Est Brisé et Le Témoin Solitaire, j’aime dire qu’ils sont les trois chapitres d’une seule et même histoire. Que penses-tu de ce point de vue et y aura-t-il d’autres chapitres dans l’avenir?
William : Je les vois comme ça aussi. Je ne sais pas si c’était complètement intentionné au début mais ils sont devenus une trilogie de la perte pour moi, lié par le meurtre de Duncan D’Innocenzio. Dans Tout Est Brisé, tu as Jimmy, un jeune gay qui essaie d’exister dans ce quartier qui a tué Duncan. Dans Le Témoin Solitaire, tu as Amy Falconetti, une lesbienne, une outsider dans ce quartier qui doit batailler avec ses démons tout en bataillant avec elle-même. J’ai pleinement l’intention d’écrire plus sur les personnages de Tout Est Brisé un jour prochain. Je peux aussi me voir revenir à Amy et Alessandra quelque part sur la route.
FRTT :Tu étais disquaire et toutes tes histoires sont ponctuées de références musicales. Quelle place à la musique dans ton travail d’écriture?
William : Je ne peux pas m’imaginer écrire sans musique. Par là, je parle de l’influence de la musique mais je veux aussi parler de l’action d’écouter de la musique quand j’écris. Mes artistes et chansons préférés sont souvent des articulations dans mes livres. J’utilise les disques comme des guides pour ce que je veux accomplir. Pour Gravesend, c’était beaucoup de punk et de hip hop (Ramones, Johnny Thunders and The Heartbreakers, Cannibal Ox, Mos Def). Avec Tout Est Brisé, il y a la chanson de Bob Dylan d’où vient le titre , tout comme le titre de Jason Molina, What’s Broken Becomes Better. Sur Le Témoin Solitaire, c’était tout Angel Olsen et Sharon Van Etten. Et il y a toujours les disques qui sont une influence constante comme Catholic Boy de Jim Carroll Band ou New York de Lou Reed – je crois que j’essaie toujours de m’approcher de leur son quelque part. Quand j’écris, j’écoute principalement des instrumentaux : les B.O de Nick Cave et Warren Ellis, William Tyler, John Fahey, Dirty Three, John Carpenter, Max Richter.
FRTT : Tu vis maintenant dans le Mississippi mais toutes tes livres ont lieu à New-York et particulièrement à Brooklyn. C’est impossible pour toi de rompre avec la Big Apple?
William : Je ne peux pas m’imaginer écrire à propos d’un autre lieu maintenant. Un jour peut-être. Même quand j’écris à propos d’un autre état ou d’un autre pays, je pense qu’il faut toujours que ce soit par le point de vue d’un personnage de New-York. Oui, je vis depuis dix ans dans le Sud profond, mais je le vis comme un new-yorkais. Toutes mes expériences sont vécus comme étant filtrées par le point de vue d’un new-yorkais. J’écris sur ce qui me hante, et ce qui me hante c’est mon immeuble, l’appartement dans lequel j’ai grandi, les gens que je connais. Voici les histoires dont j’ai envie de parler.
FRTT : Gravesend et Bensonhurst semblent être figés dans le temps et c’est comme si ces quartiers allaient respecter leur histoire et ses habitants pour toujours. Crois-tu que le sud de Brooklyn restera protéger dans la hype qui a transformé le nord du borough comme Williamsburg ou Greenpoint par exemple?
William : Ces quartiers ont beaucoup changé durant les vingt dernières années, principalement en mieux. Dans mes enfances, le coin était une enclave italio-américaine mourante. Les gens le quittaient pour le New-Jersey, Staten Island, Long Island… Il ne reste maintenant que des quartiers des immigrants de la classe ouvrière, mais cette population a changé. Elle est plus hétéroclite que quand j’étais gamin, ce qui est très bien. Il y a plus de vie, plus d’énergie. Williamsburg et Greenpoint et d’autres quartiers ont changé d’une façon plus drastique, mais je ne pense pas qu’un tel changement puisse avoir lieu à Gravesend ou Bensonhurst.
FRTT : Impossible de ne pas te poser la question, mais en tant qu’ancien New-Yorkais quel regard portes-tu sur la situation de la ville avec la pandémie et plus généralement aux Etats-Unis?
William : C’est terrible. Une tempête cauchemardesque. Une pandémie mondiale, des dirigeants incompétents, une démocratie qui s’effrite, des tensions raciales qui bouillonnent. Des endroits ont géré la situation mieux que d’autres (New-York par exemple, alors que le Sud profond est le pire endroit où vivre en ce moment), mais il a une lueur d’espoir. Pour toute l’incompétence qu’il y a, il y autant de bonté et de résistance. En tant que pays, on est sur la corde raide, mais on n’est pas encore vaincu.
FRTT : Et pour finir, la question qu’on aime appeler la « French question »: quelque chose de français que tu as aimé ou qui t’a influencé récemment?
William : J’aime beaucoup de films et d’auteurs français. Vernon Subutex 2 de Virginie Despentes vient juste de sortir ici – j’ai adoré le premier. J’attends avec beaucoup d’impatience Morgue Pleine de Jean-Patrick Manchette qui sera bientôt traduit. J’adore aussi Leurs Enfants Après Eux de Nicolas Mathieu.
Je ne suis jamais trop loin non plus des films de Jacques Rivette. Je viens de revoir Céline Et Julie Vont En Bateau qui est un de mes films favoris.
FRTT : Et pour finir, quelques réponses rapides:
. Un musique : Neko Case – Fox Confessors Brings The Flood
. Un film : Mickey And Nicky de Elaine May
. Un livre : Amour Monstre de Katherine Dunn
. Un boisson : le Black Dirty Rye de l’Hudson Valley, état de New-York
. Un repas : la pizza de chez Totonno’s à Coney Island
. Un voyage : Mon voyage en France de juin a été annulé et je veux plus que tout revenir. J’adore Paris mais Marseille est un endroit avec lequel je me sens connecté et j’aimerais passé un peu plus de temps là-bas.
Notre chronique de Gravesend : >> ici <<
Notre chronique de Tout Est Brisé : >> ici <<
Notre chronique de Le Témoin Solitaire : >> ici <<
Notre chronique de L’Amitié Est Un Cadeau A Se Faire : >> ici <<
Un grand merci à William Boyle pour sa disponibilité et son enthousiasme.
Crédit photo Katie Farrell Boyle.
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ENGLISH VERSION
From Richmond To Tacoma : A Friend Is A Gift You Give Yourself is a kind of break with your three previous books. It is less dark and there’s a lot of humor in, with some scenes which seemed to be written for a play. Why this need?
William Boyle : I was really influenced by Jonathan Demme’s crime comedies, Married to the Mob and Something Wild. Also the films of Shane Black. I love Kiss Kiss Bang Bang and The Nice Guys, and I wanted to write something with that screwball energy because it’s the kind of stuff I go back to the most as a fan. I hope all of my work has a dark comic edge but I wanted it to be the driving force here. The showdown scene in Wolfstein’s house is really a large scale screwball set piece. I rewatched films like Ball of Fire and My Man Godfrey and The Lady Eve to see how the masters balanced the chaos of some of those big set pieces. Chaos is funny. There’s a lot of chaos in A Friend Is a Gift You Give Yourself—I think a good amount of the humor stems from that.
FRTT : The main character in The Lonely Witness was a woman but she was undergoing the events and seemed to be lost. Here, Rena, Wolfstein and Lucia control the story and dominate the male characters. Can we say that A Friend Is A Gift You Give Yourself a feminist novel?
William : I hope they are both perceived that way. The Lonely Witness is much more about identity and about being an outsider, while A Friend Is a Gift You Give Yourself is about resilience and survival. But they’re both stories of women dealing honestly with the world while the men around them don’t.
FRTT : When I talk about Gravesend, Everything Is Broken and The Lonely Witness, I like to say that they are three chapters of one story. What do you think of this and is there going to be other chapters in the future?
William : I think of them that way too. I don’t know if I fully intended that at first but they absolutely came to feel like a loose trilogy of sorts to me, linked by the murder of Duncan D’Innocenzio. In Everything Is Broken, you have Jimmy, a young gay man trying to exist in this neighborhood that killed Duncan. In The Lonely Witness, you have Amy Falconetti, a gay woman, an outsider to the neighborhood who must reckon with its ghosts while simultaneously reckoning with her own. I fully intend to write more about the characters from Everything Is Broken one day soon. I can also see myself returning to Amy and Alessandra again somewhere down the road.
FRTT : You used to work in a record store and all of your stories are punctuated by some musical references. How music has a part in your writing process?
William : I can’t imagine writing without music. By that, I mainly mean the influence of music, but I also mean the act of listening while I’m working. My favorite artists and songs are often jumping off points for my books. I use records as kind of tone guides for what I want to accomplish. For Gravesend, it was a lot of punk and hip hop (Ramones, Johnny Thunders and the Heartbreakers, Cannibal Ox, Mos Def). With Everything Is Broken, there was the Bob Dylan song that the title comes from, as well as Jason Molina’s “What’s Broken Becomes Better.” With The Lonely Witness, it was all Angel Olsen and Sharon Van Etten. Then there are the records that are constant influences, like Jim Carroll Band’s Catholic Boy and Lou Reed’s New York—I think I’m always trying to get close to their sound somehow. When I’m working, I’m usually listening to instrumental stuff: Nick Cave and Warren Ellis’s soundtracks, Dirty Three, William Tyler, John Fahey, John Carpenter, Max Richter.
FRTT : You live now in Mississippi but all your stories take place in New York and particularly Brooklyn. Is it impossible for you to break with the Big Apple?
William : I can’t imagine writing about anywhere else right now. Maybe someday. Even if I wrote about some other state or country, I think it’d have to be through the lens of New York characters. Yes, I’ve lived in the Deep South for a decade, but I experience it is a New Yorker. All of my experiences are filtered through being from there. I write about what haunts me, and what haunts me is my block, the apartment I grew up in, the people I knew. Those are the stories I’m interested in telling.
FRTT : Gravesend and Bensonhurst seem to be frozen in time and there’s like these neighborhoods will respect their history and their people forever. Do you thing the south of Brooklyn will stay protected from the hype which has transformed the north of the borough like Williamsburg or Greenpoint by example?
William : These neighborhoods have changed a lot in the last twenty years, mostly for the better. When I was growing up, the area was kind of a dying Italian American enclave. People were leaving for New Jersey, Long Island, Staten Island, wherever. They remain working class immigrant neighborhoods now, but the immigrant populations have changed. It’s way more diverse than when I was a kid, which is great. There’s more life there, more energy. Williamsburg and Greenpoint and lots of other neighborhoods have changed in very different and drastic ways—I don’t think change like that will occur in Bensonhurst and Gravesend.
FRTT : Impossible not to ask you that, but as a former New-York citizen, what look do you on the situation in the city with the pandemic and more generally in the USA?
William : It’s terrible. A nightmarish perfect storm. A global pandemic, incompetent leadership, crumbling democracy, the tensions of systemic racism boiling to the surface. Some places have handled things better than others (New York, for instance, while the Deep South is the absolute worst place to be right now), but there are glimmers of hope. For as much incompetence as there is, there’s plenty of goodness and resilience. As a country, I think we’re on the ropes, but we’re not out yet.
FRTT : And to finish, the question that we like to call « the French question ». Something French that inspires you or you liked recently? (It can be a movie, a record, a book, some food…)
William : I love many French films and French writers. Virginie Despentes’s Vernon Subutex 2 just came out here—I loved the first one. I’m excited for Jean-Patrick Manchette’s No Room at the Morgue, which is coming out in translation next week. I loved Nicolas Mathieu’s And Their Children After Them. I’m never too far away from the films of Jacques Rivette—I just rewatched Céline and Julie Go Boating, which is one of my favorites of all-time.
FRTT : And finally, quick answers:
1 music: Neko Case – Fox Confessor Brings the Flood
1 movie: Mikey and Nicky (written & directed by Elaine May)
1 book: Katherine Dunn, Geek Love
1 drink: Black Dirt Rye from the Hudson Valley, NY
1 meal: Pizza from Totonno’s in Coney Island
1 trip: My trip to France in June was cancelled—I’d love more than anything to get back. I love Paris very much, but Marseille is a place I really connected to and I’d like to spend more time there.
Propos recueillis et traduction par FAP pour From Richmond To Tacoma – 2020.
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