Albin Michel
—
La magnifique première de couverture et l’enthousiasme du directeur de la collection Terres d’Amérique Francis Geffard nous ayant titillés, on avait très envie de découvrir ce que les 560 pages de ce premier roman de Stephen Markley recélaient. Et, on peut déjà l’affirmer, il y a de l’engagement, de la sensibilité et une belle maîtrise de la construction du récit.
Le roman s’ouvre sur une procession rendant hommage à Rick Brinklan, enfant de la ville de New Canaan, tué en mission en Afghanistan d’une balle dans la tête. Un premier chapitre qui installe habilement le contexte et les protagonistes du récit. Certains de ses camarades de lycée sont présents bien-sûr, d’autres ne le sont pas, on comprendra pourquoi.
Quelques années plus tard, un soir d’été, plusieurs d’entre eux vont se croiser dans la petite ville qui les a vu grandir. Parmi eux il y a Bill, ancien lycéen révolté rattrapé par la drogue et l’alcool et qui transporte un petit paquet dont il ne sait rien, Stacey sans nouvelles de son ex-petite amie, Dan, jeune vétéran d’Irak et d’Afghanistan revenu déboussolé, profondément marqué par ce qu’il a vécu là-bas en mission et Tina, brisée par son amour de jeunesse, la star de l’équipe de foot à l’époque, promis à un bel avenir pro.
Adolescents, ils ont tout connu ici : premières fêtes, premières relations, premières cuites, premier joint, les rivalités sportives entre lycées et les rivalités amoureuses… Mais, ce soir-là, ils sont de retour à New Canaan, chacun de leur côté, avec leurs blessures et la ferme intention de reprendre leur destin en main, espérant trouver la force d’affronter les morsures de leur jeunesse.
De l’insouciance des années lycée et l’intensité des premières expériences à la précarité de jeunes adultes en manque de repères, Ohio est un premier roman politique, intelligent et en plus habilement ficelé. Le récit monte en tension et en gravité, petit à petit, personnage après personnage, chaque engrenage trouvant sa place de façon remarquable. Roman social à fleur de peau, il évoque et dénonce le terrible état dans lequel les États-Unis (dé)laissent leur jeunesse et les populations qui essaient de s’en sortir loin des grandes agglomérations, thème cher à David Joy : “Le simple fait que ces gamins soient capables de sourire et rire est un putain de miracle. Le fait que notre taux de suicide ne double pas d’année en année équivaut à marcher sur l’eau”, nous confiait l’auteur de Ce Lien Entre Nous (Sonatine – 2020).
Cohérence parfaite, donc, avec les deux dernières chroniques publiées sur le blog puisque, vous l’aurez compris, Ohio se déroule dans l’Ohio, comme le magnifique Betty de Tiffany McDaniel. On espère que vous serez nombreux à avoir la curiosité d’ouvrir ce premier roman de Stephen Markley, une vraie belle découverte, qui nous éclaire sur les blessures adolescentes qui font de nous les jeunes adultes que nous sommes. Les années lycée de ses protagonistes sont dépeintes avec beaucoup de justesse et de sensibilité, un sujet trop peu souvent traité, d’après moi, dans la littérature adulte. Pour peut-être faire une comparaison qui parlerait au plus grand nombre, on peut imaginer que Ohio serait le résultat d’un 13 Reasons Why (sans connotation péjorative aucune) dont David Joy aurait écrit le destin des personnages.
On le sait, souvent, un premier roman est le fruit d’un long travail, une longue maturation qui peut malgré tout comporter des défauts mais qui bénéficie à coup sûr d’une nécessité d’aborder un sujet. Là, force est de reconnaître que les défauts sont peu nombreux et le sujet porté avec beaucoup de conviction. On sera là quand sortira le deuxième roman de Stephen Markley et croyez-moi, on l’attend de pied ferme !
1 comment