Gallmeister
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Cette rentrée 2020, il sera très difficile et pas du tout souhaitable, disons-le, de passer à côté de ce magnifique deuxième roman de Tiffany McDaniel.
Après L’Été Où Tout A Fondu, sorti en mai 2019 chez nous et passé complètement inaperçu (éd. Joëlle Losfled et bientôt Gallmeister pour une nouvelle édition), voici Betty qui a déjà conquis tout ceux qui ont eu la chance de le lire avant parution, y compris votre serviteur. Très honnêtement, en entamant ce roman, je ne m’attendais pas à être aussi rapidement embarqué et attaché à ses personnages. L’ouvrage est épais, certes, mais il aurait été cruel de faire plus court.
Pour situer, la petite Betty qui donne son nom au roman est la mère de l’autrice. Elle est la fille de Landon Carpenter, indien cherokee et d’Alka, une jeune femme blanche. Elle est la sixième enfant d’une fratrie de huit, brune, cheveux raides et peau mate. On est au tout début des années 60, dans l’Ohio.
Landon et Alka se rencontrent un jour pluvieux dans un cimetière. Dix ans les séparent. Entre eux, tout va aller très vite et Alka va claquer la porte du domicile parental pour partir avec lui. Malgré les enfants morts en couche, les multiples déménagements aux quatre coins des États-Unis pour trouver du travail, le racisme encore/déjà/toujours bien ancré dans les mentalités, le début du récit est malgré tout plutôt paisible, bercé à la fois par les histoires du père et les complicités fraternelles. La famille finit par atterrir et s’installer durablement à Breathed, petite ville de l’Ohio, Là, on se laisse adopter par cette famille nombreuse et on apprend à faire connaissance avec chacun de ses membres. les rêves des uns, les angoisses des autres… On les voit grandir dans cette grande maison décrépite entre rivière et route poussiéreuse..
À travers les yeux de Betty, on s’attache à Lint et Trustin, ses deux frères cadets, on voyage et on rêve avec les récits du père sur les anciennes traditions et la façon de voir les gens et le monde. On mesure également, pleinement, les difficultés d’être une jeune fille, indienne, dans le milieu rural de l’époque… La famille Carpenter va au fil des années s’intégrer à la communauté, le père étant respecté pour ses remèdes à base de plantes.
Et un jour, alors que Fraya, Flossie et Betty, les trois filles de la fratrie confient leurs prières à un aigle, selon la tradition, pour qu’il les porte haut dans le ciel, une des prières émises par Fraya, l’aînée, retombe au sol. Betty la trouve. Sur le papier est écrit : “S’il vous plait, délivrez-moi de lui“. Là, pour la première fois, quelque chose se brise en nous, lecteur. On se dit que les choses sont plus graves que ce que Betty perçoit et que, au sein de ce cocon il y a peut-être un démon. Aveux, prise de conscience, perte des illusions… Avec le temps, elle va découvrir que le monde n’est pas celui que lui dépeignait son père quand elle n’avait encore que huit ans, et que les plantes et les onguents ne peuvent manifestement pas guérir toutes les blessures.
Betty est un récit bouleversant sur la perte de l’innocence, à l’écriture sobre et magnifique, chacun des personnages apportant à sa manière son lot de poésie, d’insouciance, de gravité ou de déchirement. On ressent à chaque page la bienveillance et le profond amour du père, qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour apporter de la magie dans le quotidien de ses enfants, et le flou qui entoure la mère, un personnage complexe, brisé, capable de tous les extrêmes, allant de la folie la plus destructrice à des moments de douceur retenue et de sagesse.
Une écriture, une poésie et des drames qui ne sont pas sans nous rappeler Jesmyn Ward (deux fois National Book Award), une autrice qu’on adore et qui sait comme personne retranscrire, avec force et tendresse, la richesse des relations fraternelles.
Parmi ceux qui liront cette chronique, beaucoup certainement auront déjà lu Betty, grâce à l’excellent travail des éditions Gallmeister qui savent défendre leurs auteurs, mais pour les autres, ceux qui vont le découvrir sur les tables de leurs libraires, allez-y les yeux fermés. Faîtes-nous confiance et ne vous laissez pas impressionner par ses 716 pages, Betty saura vous emporter, vous toucher et vous aurez envie de l’offrir et d’en parler !
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