Bien avant de débuter ce blog, Mark SaFranko a toujours été un auteur pour qui nous avons eu une grande admiration, autant pour l’écrivain que pour l’homme. La sortie de Tout Sauf Hollywood, la suite des (més)aventures de son alter ego Max Zajack est une nouvelle occasion pour nous de nous entretenir avec l’auteur du New Jersey. Et on ne rate jamais de telles occasions.
From Richmond To Tacoma : Mark, la dernière fois que nous nous sommes vus c’était à l’occasion de la nouvelle traduction de Putain d’Olivia en 2019, juste avant la pandémie. Comment as-tu vécu ces deux dernières années en tant qu’homme et en tant qu’écrivain?
Mark SaFranko : C’était très étrange, pour dire le moins. D’un côté, ce n’était pas trop différent de ma vie d’avant la pandémie car j’ai tendance à vivre comme un ermite et à ne pas faire grand chose si ce n’est travailler – une existence ennuyeuse. J’ai écrit quatre romans qui sont à différents stades d’avancement et écrit et enregistré de la musique, comme d’habitude. Une échappée très agréable a été de passer une grande partie de l’hiver dans les Florida Keys entouré par les eaux turquoises du Golfe du Mexique et de l’Atlantique et de me réveiller sous un soleil tropical tous les jours. Un monde très coloré, baigné de lumière, rempli de lézards, d’oiseaux exotiques, de poulets sauvages et de visuels spectaculaires qui m’ont incité à peindre à nouveau. “Un autre jour au paradis” comme ils disent là-bas. Tu ne réalises pas, tant que tu n’as pas vécu dans une zone tropical, comment le temps à New-York est si mauvais. Mais je me sens chanceux d’avoir évité de contracter le Covid jusqu’ici.
FRTT : Ton nouveau livre Tout Sauf Hollywood vient de paraitre. Peux-tu nous le présenter?
Mark : C’est le cinquième Zajack – si tu ne comptes pas quelques volumes de nouvelles qui comprennent Max – et est une suite logique des quatre premiers. La période concerne une partie signifiante de ma vie, comme tu le mentionnes plus loin, et j’ai pensé que ce serait amusant mais d’une façon sombre. Je crois que les gens ont envie de lire des choses sur le monde du cinéma et du théâtre aux Etats-Unis et Tout Sauf Hollywood présente la face cachée de ces mondes, les limites de ce qu’on appelle le glamour, qui n’existe pas vraiment. J’espère que mes lecteurs français vont l’apprécier.
FRTT : Il parle d’épisodes de la vie de Max Zajack sur une quinzaine d’années. Cela nous donne l’impression que le livre a été écrit sur une longue période. Son élaboration a-t-elle été différente de tes autres livres?
Mark : Elle n’a pas été différente des autres. Peut-être ai-je appris quelques astuces de l’écriture des précédents volumes, mais sinon c’était plus ou moins pareil. Un premier jet suivi de beaucoup de relectures jusqu’à ce que je sois fatigué de travailler dessus. Tous mes romans, ceux de Zajack comme les autres, suivent le même procédé. Le seul livre qui diffère significativement était Dieu Bénisse L’Amérique, pour lequel j’ai travaillé pendant 18 ans, en mode marche-arrêt. A la fin, 50% du livre termine sur le sol de la salle de montage. Avec probablement un roman restant dans ce qui a été excisé.
FRTT : Dans ce livre, Max Zajack doute de sa vie d’écrivain et de quelle direction lui donner. As-tu toi-même éprouvé ce genre de sentiment au cours de ta carrière?
Mark : Absolument. Très, très souvent. Après avoir été incapable de trouver une maison d’éditions pour mon travail, je me serais bien dit que j’étais fini, seulement je recommençais de taper sur la machine le lendemain. Je ne sais pas d’où cette détermination vient, vraiment pas. Le problème est que je n’ai pas d’autres intérêts que la littérature et l’art donc il n’y a rien d’autre à faire que d’y revenir. J’ai souvent pensé qu’une personne saine d’esprit aurait abandonné depuis bien longtemps. J’ai vraiment eu un gros coup de mou quand j’approchais la cinquantaine, juste avant que Putain d’Olivia ne trouve un éditeur. Des jours très très sombres.
FRTT : Zajack est l’anti-héros par excellence. Il emmagasine les échecs mais malgré tout il sait rebondir et se montrer optimiste pour chaque occasion qui se présente à lui. Es-tu toi-même quelqu’un d’optimiste?
Mark : Tu sais, à première vue j’hésiterais à dire oui, mais à un certain niveau je suppose que je le suis quand même. Le mystère de la vie te captive toujours d’une manière ou d’une autre, tu lèves les yeux et tu trouves une lueur d’espoir et une raison d’aller de l’avant. Ou alors, on arrive à oublier toutes les défaites précédentes. Dans mon cas, je relisais mon travail rejeté et je me disais : “Je pense toujours que c’est bon, quoi qu’ils en disent.” Et cela me permettait de continuer. Mais ce qui m’a le plus récompensé, c’est lorsque j’entends des lecteurs qui sont touchés par mon travail. Et j’en entends beaucoup. Cela signifie plus que tout pour moi, vraiment. À bien des égards, c’est ce qui fait que toutes les luttes en valent la peine.
FRTT : Un Max Zajack des années 2020, ça donnerait quoi? Penses-tu qu’il serait plus cynique et désabusé?
Mark : Il y a beaucoup de raisons dans ce monde d’être cynique et blasé, tu ne penses pas? Tu dois te demander ce que nous faisons chaque putain de jours… Est-ce que quelque chose a vraiment du sens? Non, rien du tout. Ceci dit, j’ai écrit un autre roman de Max Zajack, mais ce n’est pas la version 2020. Je me pose toujours la question de savoir à quoi ressemblerait une version actuelle mais je n’ai pas la réponse – pas encore…
FRTT : Mediapop est la cinquième maison d’éditions qui publient tes livres en France (après 13e Note, La Dragonne, Inculte et Kicking Records, NDRL). Comment expliques-tu un tel engouement pour tes livres en France?
Mark : C’est une question qui m’a toujours mystifié. J’ai souvent lu et entendu que les Français sont très différents. Cela seulement pourrait expliquer une partie de cet intérêt. Les Français ont un grand respect pour la littérature, c’est évident. Ils aiment leurs écrivains et leurs artistes, n’est-ce pas? Et ils semblent avoir une prédilection pour accueillir les auteurs américains rejetés sous leurs ailes, et je suis certainement un de ceux-ci. Alors la réponse se trouve quelque part par là je dirais. Ou alors cela a été décrété dans un autre royaume, dans une autre vie.
FRTT : Maintenant, la classique French Question : quelque chose de français qui t’inspire ou que tu as aimé récemment?
Mark : Je suis tombé amoureux des romans de Pascal Garnier, qui a disparu il y a peu de temps. J’espère juste qu’il en reste à paraitre mais j’en doute. Il capture quelque chose – l’irrationalité, le mystère et l’absurdité de la vie – ce que j’essaie aussi de faire. Et j’ai toujours admiré les romans courts, efficaces qui se passent de fioriture. A l’opposé de ce que recherchent les éditeurs américains. Ils semblent croire que les romans lourds, ennuyeux et irritants ont plus de valeur qu’un livre qui va droit au but.
FRTT : Et réponses rapides…
- Un film : Betty Blue
- Une musique : Last Tango In Paris (bande originale, Gato Barbieri)
- Un plat : Sushi
- Une boisson : Whiskey sour
- Un roman : Mort à Venise
- Un voyage : Tanger
Ces réponses pourraient être différentes un autre jour, comme demain…
© photo : Lorrie G. Foster
Propos recueillis pas F. pour From Richmond To Tacoma. Traduction par F.
Un grand merci à Mark SaFranko, toujours aussi disponible et enthousiaste.
ENGLISH VERSION
From Richmond To Tacoma : Mark, the last time we met was for the new translation of Hating Olivia in 2019, just before the pandemic. How did you manage the last two years as a man and as a writer?
Mark SaFranko: It’s been very strange, to say the least. On one level, it wasn’t much different from life before the pandemic because I tend to live like a hermit and do little but work – a boring existence. I’ve produced four new novels that are in various stages of completion and wrote and recorded new music, as usual. A very pleasant escape was spending the large part of the winter in the Florida Keys, surrounded by the turquoise Gulf of Mexico and the Atlantic and waking up to the tropical sun every day. A very colorful, light-drenched world filled with lizards, exotic birds, feral chickens and spectacular visuals that got me painting again. “Another day in paradise” as they say down there. You don’t realize until you spend a lot of time in a tropical zone how lousy the weather is in New York. But I feel lucky that so far I’ve avoided contracting Covid.
FRTT: Your new book Nowhere Near Hollywood has just been published. Would you present it to us?
Mark : It’s the fifth Zajack – if you don’t count a couple of volumes of short stories that feature Max – and was a natural follow-up to the first four. The period consumed a significant part of my life, as you mentioned, and I thought it would be entertaining in a black way. I believe people want to read about the film and theater world in America, and Tout Sauf Hollywood presents the underside of those worlds, the margins of the so-called glamor, which doesn’t really exist. I hope my French readers enjoy it.
FRTT : It talks about episodes in the life of Max Zajack over a period of fifteen years. This gives us the impression that the book was written over a long period of time. Was it different from your other books?
Mark : It really wasn’t different from the others. Maybe I learned some tricks from writing the earlier volumes, but otherwise it was pretty much the same. And it was written over a period of two or three years, like most of my other books. A first draft followed by many revisions until I tire of working on it. All of the novels, Zajack or otherwise, followed the same pattern. The only novel that differed significantly was Dieu Benisse L’Amerique, which I worked on for 18 years, on and off. In the end, 50% of it ended up on the cutting room floor. There’s probably another novel in what was excised.
FRTT : In the book, Max Zajack doubts about his writer life and which direction to take. Did you ever have this kind of feeling in your career?
Mark : Absolutely. Many, many times. After being unable to find publishers for my work I would tell myself that I was finished, only to start typing again the next day. I don’t know where the determination came from, I really don’t. The problem was that I had no other interests except for literature and art so there was nothing else to do but go back. I often thought that any sane person would have given up a lot earlier. A really low point came when I was around the age of 50, just before Hating Olivia found a publisher. Some dark, dark days.
FRTT : Zajack is the perfect antihero. He stores up failures but despite everything he knows how to bounce back and be optimistic for every opportunity that comes his way. Are you an optimist yourself?
Mark : You know, on the face of it I would hesitate to say yes, but on some level I suppose I am. The mystery of life always somehow captivates you and you look up and you find a crack of light and a reason to go forward. Or you somehow manage to forget all of the previous defeats. In my case, I would re-read my rejected work and say to myself, “I still think this is good, no matter what they say.” And that would keep me going. But what has rewarded me most has been when I hear from readers who are affected by my work. And I hear from a good deal of them. That means more to me than anything, really. In many ways it has made all of the struggles worth it.
FRTT : A 2020 version of Max Zajack, what do you think it looks like? Will he be more cynical and jaded?
Mark : There is much in the world to be cynical and jaded about, isn’t there? You have to wonder what the hell we’re all doing every single day….Does anything make sense? No, it doesn’t. That said, I’ve written another Zajack novel, but it’s not the 2020 version. I’m still grappling with what a present-day version might look like and I don’t have the answer – yet.
FRTT : Mediapop is the fifth publishing house for your books in France. How do you explain the popularity of your books in France?
Mark : This is a question that always mystifies me. I’ve often read and heard it said that the French are very different. That alone probably explains it to some extent. The French have a great reverence for literature – obviously. They love their writers and artists, don’t they? And they seem to have a predilection for taking in American writers rejected on their home soil, and I’m certainly one of those. So the answer lies somewhere in there, I would say. Or maybe it was decreed from another realm, another lifetime.
FRTT : And now the classic French Question : something french that inspires you or you liked recently?
Mark : I have fallen in love with the novels of Pascal Garnier, who passed away not all that long ago. I only wish there were more on the way, but I don’t believe that’s going to happen. He captures something – the irrationality and mystery and absurdity of life — that I try to do as well. And I’ve always admired efficient – short – novels that have no filler. Very unlike what the American publishers go for. They seem to believe that fat, boring, irritating novels have more value than one that cuts straight to the bone.
FRTT : And quick answers…
- 1 movie : Betty Blue
- 1 music : Last Tango In Paris (Soundtrack, Gato Barbieri)
- 1 meal : Sushi
- 1 drink : Whiskey Sour
- 1 book : Death In Venice
- 1 trip : Tangier
Those answers might be different on another day, like tomorrow.