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King County Sheriff, MITCH CULLIN

Inculte

En fin d’année 2022, en repensant à Tideland, l’effet que ce roman m’avait fait et en réfléchissant à l’idée d’en faire une chronique, je recherche sur l’internet plus d’informations au sujet de ce Mitch Cullin et surtout s’il est encore possible de commander quelques-uns de ses écrits chez mon libraire… A priori cinq romans traduits en français, tous en rupture de stock excepté King County Sheriff sorti en 2011 et disponible en format poche (2018), édité par les éditions Inculte, maison qui publiait Suicide de Mark SaFranko en 2019 et dont la chronique signée par mon acolyte est disponible sur notre page – bien évidemment. Le récit est en vers libres, voilà qui peut surprendre, mais le sujet attise ma curiosité.

Malgré tout
je finis toujours au même endroit,
22 miles au cœur,
au plus profond de la désolation :
ce vieil endroit n’est plus rien
d’autre que bois carbonisé, tout est suie
et fagots bûches brûlées.

KIng County Sheriff, ce sont plusieurs monologues qui se succèdent les uns aux autres, pour nous livrer sans filtre ce qui émerge de l’esprit dérangé de A.C. Branches, Shérif de King County, village paumé du Texas. Et, ne nous voilons pas la face, ce qui en sort n’est pas bien beau.
Pourtant, Branches est quelqu’un de moral – il l’a été en tout cas – avec une certaine droiture et un haut sens de la justice, on ne devient pas shérif comme ça, tout de même ! Mais voilà, parfois, ce sens du devoir exacerbé vous pousse bien au delà de la raison et surtout au delà de la loi.

Alors Branches est là, las, vautré contre le vieux puits dans le jardin de la maison qui l’a vue grandir et dans laquelle il n’a pas que des souvenirs très heureux, merci à son beau-père. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il l’a lui-même incendiée, cette maison, malgré les jeunes mexicains qui y squattaient.  Mais bon, les mexicains, ce n’est pas si grave, se dit Branches, ils volent les emplois des braves citoyens américains et font du mal aux chiens du quartier apparemment. Qui cela pourrait-il gêner ? Quant à son beau-père, il est mort d’une injection d’eau de javel dans le sang après les heures de visite à l’hospice… Devinez qui lui a fait cette injection.
En cette fin de journée, contre son puits, c’est l’occasion pour lui de faire une sorte de bilan, réfléchir à son passé, à ses actes et leurs conséquences et à cette société qui se délite années après années.
Ce soir, après sa journée de travail, il retrouvera sa dame qui lui aura préparé un bon repas – des burritos au bœuf -, ils regarderont Vidéo gag à la télé, peut-être lui fera t-il l’amour. Elle est la mère d’un jeune homme, Danny, qu’il aurait voulu voir bien tourner, mais bon, qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête, à ce gamin ? Se raser le crâne. À l’heure qu’il est, il sanglote derrière son beau-père, derrière le petit mur de pierre, suppliant, plusieurs mètres en profondeur au fond du puits.

Qu’est-ce que je vais dire à ma femme ?
Danny chiale sa race,
au moins il ne se débat plus
dans la boue comme une oie.
Petit crétin.
Bon, c’est sûr, je suis un sacré connard
de le traiter comme ça.
Pas comme ça
que c’était censé finir.

Et si, après tout, c’était aussi un peu de sa faute à lui ?

Un petit roman sombre et grave, illuminé par la plume de Mitch Cullin, d’une fluidité et d’une poésie crue désarmante. Une plongée captivante dans l’esprit nauséabond de cet anti-héros blessé, raciste et sexiste qu’est le shérif Branches.

 

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