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FATHER JOHN MISTY, Chloë and the Next 20th Century

Sub Pop/BellaUnion/2022

Après quatre ans d’absence, le songwriter Josh Tillman réactive son alter ego Father John Misty pour continuer de déconstruire le mythe américain sur un cinquième album aux arrangements riches et inspirés du jazz, le fruit d’un travail de plus deux ans en compagnie de son ami musicien et producteur Jonathan Wilson.

Elle s’appelle Chloë. C’est une chanson jazz entre deux guerres qui nous la présente. Ô surprise d’entendre le prêcheur barbu installé à Los Angeles convoquer cuivres, orchestre et velours pour nous faire entrer dans l’univers de son nouveau disque. Funny Girl, le premier single paru il y a quelques mois nous avait déjà mis la puce à l’oreille. L’entertainer Father John Misty, satirique et exhubérant (on se souvient du très beau Pure Comedy, taclant en 2017 la société américaine qui s’apprêtait à accueillir Donald Trump à la Maison Blanche), cède aujourd’hui la place à un crooner soft revenu de tout.

En effet, avec Chloë and the Next 20th Century, Josh Tillman est déterminé à tordre le coup au rêve américain mais il remise au placard sa panoplie d’avant pour enfiler le costume d’un interprète plus humble, plus sobre. Et c’est par le prisme hollywoodien qu’il a décidé de nous raconter ses histoires. Les trajectoires de Chloë, Simone et d’autres jeunes femmes chahutées par la vie ou égarées dans leur quête vers la gloire sont dévoilées par un Tillman moins auto-centré qui joue avec les codes du cinéma. Ainsi, il pastiche habilement Everybody’s Talking (l’un des tubes d’Harry Nilsson et morceau-phare de la B.O. du film Midnight Cowboy) avec une ballade country-folk, Goodbye Mr. Blue. Là aussi, le clip compagnon fait référence au cinéma. L’énigmatique Q4 est quant à lui plutôt orienté pop orchestrale des sixties (de somptueux arrangements baroques à la Beatles et un final magique à la batterie digne de Ringo Starr).

Une valse wilsonienne (Everything But (Her Love)), un slow langoureux (Buddy’s Rendezvous), une ballade country-jazz (Only a Fool) plus tard, on se dit que Tillman, Wilson et l’arrangeur Drew Erickson ont fait un boulot de fourmi pour aboutir à cette production élégante, ces arrangements très fins. L’un des temps forts de l’album, The Next Century, une ballade synthétique quelque part entre Leonard Cohen et Angelo Badalamenti, ponctuée d’un solo de guitare heavy metal et quelques inquiétantes castagnettes, nous rappelle que Misty a plus d’un tour dans son sac, qu’il continue de tenter des choses, de pousser le songwriting plus loin, quitte à regarder dans la rétro. Et puisque l’on parle de sac, il vient poser le sien au Brésil le temps d’une bossa élégante à la Getz/Gilberto ou Quincy Jones, Olvidalo (Otro Momento).

En jouant avec les codes propres au cinéma et en invoquant ses héros (Frank Sinatra, Scott Walker, Harry Nilsson, Bob Dylan, Randy Newman…), Father John Misty croque la société américaine de manière subtile et énigmatique en imaginant des personnages dignes d’un film. Avec son précédent disque, God’s Favorite Customer, il avait peut-être fait le tour de ses thématiques d’auto-apitoiement, de critique de ses contemporains. Josh Tillman délivre là l’un de ses disques les plus aboutis. Et on espère qu’il continuera longtemps à jouer Misty pour nous.

Georges.

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