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DAMIEN JURADO, The Monster Who Hated Pennsylvania

Maraqopa Records / 2021

Un grand type couché, raide mais pas mort, dans une cage d’escalier. Avec cette pochette burlesque et les 10 portraits en chanson de Helena, Johnny, Dawn, Langston, Jennifer ou bien encore Joan, le songwriter américain Damien Jurado questionne l’existence, les amours déçus, la précarité, la solitude sur son 17ème album studio, The Monster Who Hated Pennsylvania.

Délivré de toute contrainte liée aux maisons de disques, Damien Jurado a créé pour ce nouveau répertoire son propre label, logiquement nommé Maraqopa Records. Normal tant ce monde fictif Maraqopa sorti d’un rêve en 2012 et raconté sur trois albums a imprégné son créateur et l’a porté vers des sommets d’écriture. On pense à Silver Malcolm. On pense à Mountains Still Asleep. À Qachina aussi. Si l’ombre de Richard Swift, fidèle ami et collaborateur disparu en 2018, plane toujours, le songwriter de Seattle, Washington State, sort donc à présent ses albums (sept seraient déjà écrits), revenu à une production plus sobre mais pas dénué d’inventivité. Le multi-instrumentiste Josh Gordon y est d’ailleurs pour beaucoup. Celui qui accompagne Jurado depuis trois ans fait sonner les basses comme un certain Paul McCartney, apportant du groove et une forme de légèreté à la mélancolie naturelle de Damien Jurado.

Certes le disque ne fait pas vraiment dans les tempos rapides mais la paire Jurado/Gordon a suffisamment d’idées dans son sac et trouve toujours le petit détail de production qui va faire d’un simple morceau guitare/voix une perle. A l’instar de l’impeccable Dawn Pretend, quelque part entre l’easy listening et la bossa, ces lignes de basse jouées au médiator sont autant de friandises pour les oreilles. Song For Langston Birch, avec ses parties de cuivres fantomatiques jouées au mellotron (un des premiers synthés/samplers), nous plonge dans une mer de diamants avec ce personnage tiré d’une série des années 80 dont Jurado est fan. Précédemment intitulé Diamond Sea en tant que face B sous la houlette de Swift, le morceau renait, dix ans après. Minnesota et Joan ont beaux être de très courts morceaux, ils n’en sont pas moins chargés d’émotion. “On m’a dit que je n’étais personne”. “N’y va pas, je les entendais dire. Non, n’y va pas” nous dit le personnage au gré des accords déroulés par le songwriter. Et puis, au milieu de tout ça, au milieu de tous ces morceaux courts, ces petites histoires, il y a Johnny Caravella, un titre tout en montée, épique et sombre, qui vous emporte littéralement sur cinq minutes à la tension palpable. La voix de Jurado sort de sa zone de confort et aussi de ses gonds comme pour nous gueuler ses peurs et ses doutes à coups de semonces percussives, de coups de fouet assenés par une guitare électrique et de nappes d’orgue Hammond. Le genre de chanson que Bruce Springsteen aurait pu écrire.

Et de la manière qu’il entreprit il y a quelques temps une tournée des villes moyennes américaines, Damien Jurado s’est tourné avec The Monster Who Hated Pennsylvania vers ces femmes et ces hommes – fictifs ou non – laissés pour compte, accidentés, perdus, seuls, loin d’une Amérique fantasmée. Une Amérique qu’on ne voit pas trop à la télévision. Mais une Amérique que Damien Jurado a choisi d’aimer et de raconter, non sans une lueur d’espoir à la fin. “All is not lost even if you’re without a direction.”

Georges.

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